Publiée en octobre 2025, la norme ETSI ES 204 114 marque une avancée majeure pour le secteur de la construction en Europe. Elle répond aux exigences du Data Act, entré en vigueur en septembre 2025, et vise à standardiser l’échange de données entre les contenus produits par tous les acteurs de la construction et les applications. Voici ce qu’il faut retenir de cette norme, ses enjeux, et ses impacts pour les professionnels.

1. Contexte et objectifs de la norme

Pourquoi cette norme est-elle cruciale ?

  • Interopérabilité obligatoire : Le Data Act impose aux acteurs du secteur de la construction de garantir l’accès et le partage des données de manière transparente et interopérable.
  • Secteur fragmenté : Avec plus de 300 éditeurs de logiciels en France et des centaines de milliers d’acteurs (architectes, bureaux d’études, entreprises, exploitants, fabricants, etc.), l’harmonisation des données est un défi majeur.
  • Coûts élevés : Le manque d’interopérabilité coûte plus de 100 milliards d’euros par an en Europe, selon des études référencées dans la norme.
  • Transition numérique : La norme accompagne la transformation numérique du secteur, en passant d’une logique appli-centrique (chaque logiciel a son propre format) à une approche data-centrique interopérable (le format des données est normalisé permettant un partage et une collaboration facilité sans négliger le consentement et la cybersécurité).

2. Les innovations clés de la norme ETSI ES 204 114

2.1. Le méta-modèle opendthX : un langage commun pour le BIM

  • Définition : Le méta-modèle opendthX est un format ouvert conçu pour assurer l’interopérabilité entre les contenus numériques et les logiciels du secteur de la construction.
  • Objectifs :
    • Permettre un accès universel aux données, quel que soit le logiciel utilisé.
    • Éviter l’effet « GIGO » (Garbage In, Garbage Out) en normalisant le format d’échange des données d’entrée.
    • Optimiser les transferts de données grâce au concept de « données à la demande », favorisant la sobriété numérique (Loi REEN-RSE-CSRD).
    • Assurer une continuité numérique tout au long du cycle de vie d’un projet : de la conception à l’exploitation, en passant par la construction.
  • Compatibilité : opendthX est compatible avec les normes existantes comme IFC (ISO 16739-1), SAREF4BLDG, et JSON-LD, et prochainement une open API pour des échanges fluides.

2.2. Une approche centrée sur le cycle de vie des objets BIM

La norme introduit une méthodologie structurée pour gérer les objets BIM tout au long de leur cycle de vie, en s’appuyant sur les normes ISO 19650 :

Phase Description Acteurs impliqués
PIM (Project Information Model) De la conception à la construction : l’objet évolue d’un modèle générique (GOM) à un objet spécifique (SO). Architectes, ingénieurs, économistes, fabricants
AIM (Asset Information Model) Phase d’exploitation et de maintenance : l’objet est enrichi de données opérationnelles et connectées (IoT). Exploitants, gestionnaires, techniciens
  • Avantages :
    • Traçabilité totale des décisions et des modifications.
    • Réduction des erreurs grâce à la continuité des données.
    • Optimisation des coûts sur l’ensemble du cycle de vie (70 à 80 % des coûts totaux d’un bâtiment sont liés à son exploitation).

2.3. Interopérabilité sémantique, organisationnelle et technique

La norme propose une approche globale pour garantir l’interopérabilité à tous les niveaux :

Type d’interopérabilité Méthode Bénéfices
Sémantique Méthode COPO (Cas d’usage, Objets, Propriétés, Objets modélisés) Harmonisation des dictionnaires de propriétés et des vocabulaires métiers.
Organisationnelle Processus CIQO (Collaboration In, Quality Out) Alignement des processus entre les parties prenantes.
Technique API REST, JSON-LD, opendthX/IFC Échanges fluides et sécurisés entre logiciels et systèmes.

3. Cas d’usage et bénéfices concrets

3.1. Pour les maîtres d’ouvrage et les exploitants

  • Centralisation des données : Accès à un jumeau numérique répondant aux cas d’usage visé et mis à jour en temps réel.
  • Maintenance prédictive : Utilisation des données IoT pour anticiper les pannes et optimiser les coûts.
  • Conformité réglementaire : Respect des obligations du Data Act et des normes européennes.

3.2. Pour les concepteurs et les entreprises

  • Collaboration simplifiée : Échanges de données sans perte d’information entre les logiciels (CAO, ERP, BIM, etc.).
  • Réduction des coûts : Moins de retouches et de corrections grâce à des données fiables.
  • Flexibilité : Possibilité d’utiliser plusieurs dictionnaires de propriétés (normes, DTU, avis techniques, etc.).

3.3. Pour les fabricants

  • Intégration facilitée : Les fiches techniques et les données produits sont directement exploitables dans les maquettes BIM.
  • Visibilité accrue : Leurs produits sont référencés dans des catalogues interopérables.

4. Comment se préparer à la mise en œuvre ?

4.1. Pour les éditeurs de logiciels

  • Adopter le format opendthX : Intégrer le méta-modèle dans leurs solutions.
  • Développer des connecteurs : Utiliser l’API REST opendthX pour assurer la compatibilité.
  • Participer aux groupes de travail : Collaborer avec Alliance du Bâtiment, eG4U et l’ETSI pour contribuer à l’évolution de la norme.

4.2. Pour les professionnels

  • Former les équipes : Maîtriser les concepts de PIM/AIM, GOM/GO/SO, et les outils d’interopérabilité open sources ou libres d’accés.
  • Utiliser des plateformes collaboratives : Comme LibreBIM.fr ou CiQo.eu, compatibles opendthX.
  • S’appuyer sur des référentiels : Exploiter les dictionnaires de propriétés et les catalogues d’objets BIM normalisés.

4.3. Pour les maîtres d’ouvrage

  • Exiger l’interopérabilité dans les appels d’offres.
  • Privilégier les solutions utilisant les formats ouverts ce qui devient une obligation.
  • Investir dans des jumeaux numériques pour une gestion optimisée des actifs.

5. Perspectives et évolutions futures

  • Intégration de l’IA : Analyse automatisée des données pour optimiser la maintenance et la conception.
  • Blockchain : Sécurisation et traçabilité des modifications apportées aux données.
  • Réalité augmentée : Visualisation des informations BIM directement sur le chantier.
  • Extension à d’autres secteurs : Adaptation du méta-modèle opendthX aux villes intelligentes (Smart Cities) et aux infrastructures.

6. Conclusion : Une norme indispensable pour la construction

La norme ETSI ES 204 114 est un levier stratégique pour moderniser le secteur de la construction. En garantissant l’interopérabilité des données, elle permet :

  • Une collaboration sans friction entre tous les acteurs.
  • Une réduction des coûts et des erreurs tout au long du cycle de vie des projets.
  • Une conformité avec les réglementations européennes, notamment le Data Act.

Pour les professionnels, l’adoption de cette norme n’est plus une option, mais une nécessité pour rester compétitif dans un secteur en pleine transformation numérique.

Pour aller plus loin

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